Pendant les années 30 et 40 on parlait des deux Espagnes. Bien entendu, une telle expression avait toute sa raison d'être pendant les trois ans de guerre civile. Mais en fait une telle partition était perceptible dès 1812 avec les Cortes de Cadix. La bataille, sourde ou déclarée, fit rage, pendant tout le XIXe siècle entre ceux qui se reconnaissaient fils des Lumières et le cléricalisme ultra-conservateur et militariste.
Si tous les Espagnols formaient procession derrière la croix du Christ, une moitié le faisait armée d'une épée, l'autre d'un bâton. On ne chantait pas la même messe.
Au XXe siècle, il y avait toujours deux Espagnes, celle de gauche et celle de droite. Avec la consolidation de la démocratie post-franquiste cette division s'est confirmée: autour des socialistes à gauche, autour du parti de droite dominant (avec ses appelations contrôlées successives), pour les conservateurs et autres héritiers du franquisme.
La gauche vient de perdre dans un grand fracas les élections locales et régionales d'hier( 22 mai). Le Parti populaire, en dépit des scandales majeurs de corruption qui entachent la gestion de leurs champions, triomphe presque partout.
Mais depuis le 15 mai une troisième Espagne est venu compliquer le jeu politique, semant le trouble parmi les observateurs. Des dizaines de milliers de jeunes citadins remplissent les plus grandes places pour clamer leur désarroi. Chômage massif, dévalorisation de leurs diplômes, impossibilité de se loger. Ils sont pacifiques, comme l'est le gouvernement Zapatero. Ce dernier a même dit que, s'il avait eu quinze ans, il camperait aussi Puerta del Sol.
Tout ce monde, au demeurant sympathique, s'indigne contre le gouvernement, les communautés régionales, les maires, les députés et les sénateurs.
Mais, comme tous disent se situer en dehors de l'action politique, ils ne proposent rien pour changer le cours des choses. Ils exercent, en quelque sorte, leur droit à la "pataleta"(trépignement enfantin).
Zapatero, qui n'a plus quinze ans, a fait tout son possible pour atténuer les effets de la crise qui, en Espagne, sont particulièrement rudes après une croissance rapide pendant au moins trente ans. Le seul changement profond serait la sortie du système de libéralisme économique dominant en Europe.
Mais personne ne propose une solution aussi radicale, pas même la gauche de la gauche espagnole.
Pas même, surtout, les manifestants de la Puerta del Sol avec leur indignation stérile.
Antoine Blanca