Même si les citoyens reconnaissant ouvertement leur préférence pour le FN sont plus nombreux aujourd'hui, il reste que l'expansion du parti des Le Pen se fait essentiellement dans le secret de l'isoloir. Ce n'est pas rassurant pour autant, mais ses dirigeants ont eu le plus grand mal à boucler leurs listes de candidats, pour les municipales avant-hier, les départementales hier. C'est que les véritables raisons motivant le vote d'extrême droite sont peu avouables: xénophobie, racisme rampant, anti-sémitisme parfois...et toujours hostilité à tout ce qui vient d'ailleurs. La population immigrée en premier lieu.
N'en déplaise aux militants de gauche, la classe ouvrière est particulièrement réceptive à ces sentiments fondés sur la perception, irraisonnée, d'une menace sur l'emploi. Une réaction, au fond, assez traditionnelle: les travailleurs ont souvent obéi aux mêmes pulsions contre l'arrivée massive d'Italiens, de Polonais. On voudrait oublier aussi que, quand les Espagnols fuyant la victoire du franquisme sont arrivés chez nous en masse (février et mars 1939), la CGT* avait demandé que l'accès au marché du travail leur soit interdit. Si dans les années 60 les travailleurs venant de la péninsule ibérique ont été mieux accueillis, c'est que la France (et l'Europe d'ailleurs) connaissait une période de croissance et de plein emploi...Bien entendu il est d'autres explications au succès du vote FN, notamment dans les régions de notre sud où les 'rapatriés' d'Algérie se sont souvent concentrés. Leur ressentiment (hérité par leur descendance) à l'égard des autorités de la République est exploité sans vergogne par le "lepénisme" (le maire de Béziers a ainsi baptisé, en grande pompe, une place de sa ville du nom d'un officier putschiste de 1961, et ordonné la mise en berne des drapeaux le jour anniversaire des accords d'Evian, le 19 mars).
D'une manière générale enfin, il y a toujours eu une certaine France toujours prête à s'identifier à l'autoritarisme et sensible aux arguments xénophobes ou racistes. Sans aller plus loin dans l'histoire rappelons, pêle-mêle, l'immense popularité dont avait joui le général Boulanger, l'affaire Dreyfus, qui avait coupé le pays en deux, les 'ligues' qui avaient bousculé la République (et failli l'abattre le 6 février 34), les milices fascistes au temps de l'occupation. Et, dans les années 50, la grosse alerte du poujadisme (15% des voix en 1956 à égalité avec les socialistes en dépit d'une forte participation à l'élection législative)**. Papa Le Pen avait, on le sait, fait ses premières armes politiciennes comme jeune député poujadiste. Ce qui est nouveau, en apparence, ce sont les efforts, payants semble-t-il, consentis par sa fille Marine pour se donner une dose de respectabilité. Mais ne s'y laissent prendre que ceux qui veulent bien succomber au mirage...Hitler, en 1933, nommé chancelier du Reich, avait bien revêtu l'habit à queue de pie, coiffé le haut de forme, oubliant un moment son uniforme nazi au vestiaire...
L'heure est venue pour chacun de prendre ses responsabilités. La gauche n'a aucun mal à prendre les siennes. Du moins quant à l'attitude à adopter vis-à-vis du FN. Tel n'est pas le cas à droite, où l'on voudrait mettre, dans le même panier à linge sale, la gauche et l'extrémisme de droite. Un jeu bien dangereux pour la démocratie. Qui n'étonne pas de la part du chef nominal de ce qui est encore l'UMP. Sarkozy demeure l'homme sans conviction, l'invertébré politique et moral qu'il a toujours été. Heureusement, tous les électeurs conservateurs ou centristes ne font pas preuve de la même légèreté d'esprit...On veut l'espérer.
Antoine Blanca
* C'était la CGT réunifiée en 34 que dirigeait Léon Jouhaux.
**Aux législatives de 56 l'UDCA fondée par un boutiquier de St Céré (Lot), devenue force politique, avait réintroduit le populisme d'extrême-droite dans le jeu électoral. Un courant qui vivait dissimulé après la Libération.