Naturellement on prétend mettre tout au débit des politiques de Chàvez et de son bien pâle successeur, Maduro. C'est une explication bien commode à la crise sociale, économique et monétaire qui est sur le point de mettre le Venezuela à genoux. L'explication du désastre doit être recherchée bien plus loin dans le temps. Tous les amis du pays des Libertadores Bolivar et Miranda savent que, dès la fin des années 1930, un intellectuel de renom international mettait en garde contre l'euphorie qui gagnait avec la découverte des premières richesses pétrolières: ne gaspillons pas ces biens précieux, disait-il. Avant d'ajouter, "il faut planter le pétrole". Le grand pays d'Amérique du Sud serait aujourd'hui à l'abri de la tourmente, si cette sage recommandation avait été entendue par les gouvernants successifs. Comme cela sera le cas, quelques décennies plus tard, dans la très lointaine Norvège.
Car avant d'être "un pays pétrolier" le Venezuela était une nation potentiellement riche. Elevage extensif de bovins dans les "llanos"(relisons Dona Bàrbara, le chef d'oeuvre de Romulo Gallegos*), agriculture bénéficiant aussi bien du climat tropical que du tempéré, immensité amazonienne avec ses bois précieux et son hydrographie renfermant de précieux trésors...Mais on a abandonné tout cela à des minorités idéalistes ou à des chercheurs. Pourquoi aller plus loin puis que les pétro-dollars étaient là, à portée de main?...Aujourd'hui le pays est en guerre civile. Les pauvres et l'armée d'un côté (mais est-ce toujours vrai?) avec les héritiers de Chàvez, tous les autres, provisoirement unis en une coalition d'anciens ennemis pour se partager le pouvoir à Caracas.
Mais aucun clan ne parle des vraies et profondes réformes à réaliser pour ne plus dépendre des seuls revenus du sous-sol tant terrestre que maritime. Ceux qui dénoncent l'impéritie du pouvoir actuel ont gouverné jusqu'à la fin du XXe siècle. Après la chute de la dictature de Marcos en 59, social-démocrates (AD) et social-chrétiens** ont gouverné en alternance au palais de Miraflores. Le succès ou l'échec de ces gouvernements dépendant moins des compétences des leaders que du cours mondial des produits pétroliers. Quand ces derniers s'effondrent comme aujourd'hui la catastrophe impose sa terrible loi. En lettres d'imprimerie pour un temps encore.
En lettres de sang bientôt?
Je ne crains rien pour les riches. Ils ont tous mis ce qu'il faut à l'abri depuis longtemps. Comme ils ont toujours remisé leur patriotisme affiché au vestiaire. Non, le drame frappera les plus humbles, ceux qui étaient mieux scolarisés, mieux vêtus, mieux nourris et surtout mieux soignés depuis l'avènement du chavisme.
Antoine Blanca
* nominé au Prix Nobel de Littérature en 1960
** Action Démocratique, membre de l'IS; COPEI formation d'inspiration démocrate-chétienne