Il suffit de mentionner le mot Algérie, et les passions se déchaînent en France. Le Président a connu l'Algérie indépendante quand l'ENA l'envoya faire son stage à l'Ambassade de France à Alger. Il y retournera plus tard, pour une visite purement politique, en tant que Premier secrétaire du PS. L'Algérie française, il n'a pu que l'imaginer à travers ses lectures ou des discussions orageuses avec un père de droite.
Le paysage urbain des grandes et des petites villes a cependant dû parler au jeune stagiaire : une petite France, désormais
sans Français qui vivaient leur vie comme des métropolitains, votaient comme eux et discutaient des mêmes thèmes. Ignorant le monde arabophone et berberophone qui s'entassait dans les quartiers
périphériques. Ce monde là représentait pourtant 85% de la population. Il n'accédait que rarement aux lycées et aux collèges. Quelques privilégiés entraient à l'université. En 1960 les étudiants
étaient à 90% européens. Etre instituteur ou conducteur de tram était en soi un triomphe professionnel. Tous avaient une nationalité étrange : celle de Français-Musulman. Une aberration dans une
République laïque qui répétait que l'Algérie était la France, avec ses Préfets et ses Sous-Préfets, ses directeurs de grandes administrations, sa police et ses garnisons.
Les nationalistes étaient surveillés de près, objet d'arrestations arbitraires fréquentes. J'en ai le souvenir très précis car, dans mon village ils étaient amis de mon père. Les voir passer, les
poignets menottés dans le dos me déchirait le coeur. C'était pourtant une élite, lecteurs avides de livres et de revues. Ils se référaient aux principes de notre Révolution, Autodidactes
pour la plupart, ils pratiquaient la religion à minima.
Nombre de ceux qui déclenchèrent les évènements du 1er novembre 1954 avaient participé, comme sous-officiers, à la libération de la France, à la campagne d'Italie et au débarquement en Provence. De retour au pays ils étaient entrés dans des organisations clandestines, persuadés que seule la lutte armée pouvait exprimer leur révolte. Pas question de participer à des manifestations publiques comme celle du 8 mai 1945 qui, de Sétif à Guelma, avait conduit à des massacres impitoyables.
La guerre d'Algérie s'est terminée en désastre. L'OAS et ses activités criminelles finirent par rendre inapplicables les accords signés à Evian par la France et le GPRA. En juillet 1962 il ne restait qu'une poignée de Français dans le pays. Tous les autres avaient été 'rapatriés' à la hâte. Rapatrié, terme impropre s'il en est, pour des gens qui, pour la plupart, ne connaissaient pas la Métropole, n'y avaient aucune attache familiale. Ils avaient abandonné leur maison, la ville ou le village où ils étaient nés. Ils payaient très cher les erreurs de la France et leur propre ignorance, parfois méprisante, de leurs voisins arabo-berbères.
Depuis 50 ans les relations entre l'Algérie nouvelle et la France sont compliquées. Tout est émotionnel. Quand Boumédiène décida l'arabisation totale de l'enseignement et des administrations, ce fut la fin d'un monde.
Aujourd'hui notre langue est devenue, officiellement, une langue étrangère et les plus jeunes ont appris dans les écoles que l'Algérie avait été occupée, que 'la Révolution' les avait libérés du joug colonialiste.
En dépit de tout cela, aujourd'hui, les choses ont changé da. ns les esprits. Et depuis l'élection de Hollande un vent nouveau souffle en faveur de l'établissement d'une relation spéciale avec la France. Les masses sont persuadées que de grands progrès vont marquer la visite d'Etat du président français dans leur pays.
Hollande a entre ses mains la possibilité historique de combler les fossés qui nous séparent d'un pays qui se veut désormais notre ami.
Cela ne résultera pas du miracle, mais des hommes qui, de part et d'autre, ont préparé les dossiers. Leur contenu peut être le point de départ d'un changement extraordinaire. Bénéfique pour les deux parties.
Antoine Blanca