L'immense catastrophe ferroviaire qui a frappé les Espagnols, a d'abord renforcé les sentiments de fraternité qui m'unit à ce peuple. Et puis, les souvenirs sont remontés à ma mémoire. En premier lieu celui de ma tante Elvira, la plus pieuse de la famille. Elle manifestait une dévotion particulière pour Saint Jacques, qu'on appelle Santiago en Espagne. Comment aurait-elle interprété le tragique événement? Un déraillement historique, un désastre humanitaire à la veille des festivités qui devaient honorer, aujourd'hui, celui que les catholiques considèrent comme 'l'évangélisateur de l'Espagne'! Et qu'une tradition, moins spirituelle, elle, que l'on a longtemps tenté de fixer dans l'esprit des petits espagnols*, affuble du titre douteux de "Santiago matamoros". C'est à dire "Saint Jacques le massacreur de Maures"(sa divine apparition, à cheval et armé d'une énorme épée, avait fait tourner une bataille décisive à l'avantage des Chrétiens).
Tante Elvira aurait trouvé à ce drame de saintes explications. Au choix: Santiago voulait mettre à l'épreuve la piété des fidèles soumis aux tentations de la vie moderne; et y cédant trop souvent. Ou bien le démon aurait tenté de gâter le jour sacré de la Saint Jacques. Dans l'une et l'autre de ces hypothèses la seule réponse était l'exigence d'un redoublement de foi et de prières.
A côté de l'interprétation religieuse de la catastrophe, je propose une réflexion politique: Santiago de Compostela proteste contre l'utilisation de son Nom par la droite espagnole au pouvoir, avec un Président de gouvernement, Galicien de surcroît, sérieusement mis en cause dans une vaste affaire d'enrichissement personnel.
Autre thème: la destination finale du train martyr était le port de El Ferrol. Ville natale de Franco. Au temps du régime fasciste, le Généralissime avait changé le nom de la cité par celui de "Ferrol del Caudillo". La démocratie a remis les choses à leur place. Depuis l'enfer où il grille à petit feu le 'Caudillo invaincu' se rappelle au bon souvenir de son peuple, en continuant de pratiquer sa distraction favorite: tuer des compatriotes
Antoine Blanca.
* Cela figurait comme vérité d'Evangile dans les manuels scolaires officiels de CM2.