Annoncée hier, le décès de l'ancien membre de la junte militaire, celle qui imposa sa loi à l'Argentine de
1976 à 1983, ne fera pas les gros titres de la presse européenne. Espagne exceptée.
Le personnage aura pourtant marqué l'histoire. Cruellement il est vrai. Faute de pouvoir être "président", poste dévolu dans un régime des "forces armées de la nation" au corps numériquement le
plus nombreux, l'armée de terre, il s'efforça de se montrer le plus efficace dans la vaste opération "d'éradication totale du terrorisme", pièce maîtresse du programme civil des
militaires.
Cela impliquait, bien entendu, la liquidation physique de tous les opposants de gauche, qu'ils aient ou non participé à la lutte armée, les intellectuels et les leaders étudiants étant inscrits souvent d'office sur les listes, les syndicalistes péronistes ne donnant pas des garanties de docilité, les socialistes et les rares communistes en dépit des accords commerciaux colossaux signés par Moscou avec la Junte (L'URSS ne cessa jamais de protéger le régime Videla et le PCF se rallia discrétement aux instructions venues du "centre"). Les membres des ONG étrangères venannt au secours des familles...
Et puis il fallait appliquer "l'opération Còndor". Elle liait les dictatures militaires du Cône sud (tous concernés), et permettait de neutraliser les opposants de tout pays voisin ,ayant cherché refuge à Buenos Aires, avant la prise de pouvoir par les uniformes. Le général Prats, dernier commandant sous Allende avant Pinochet, avait été tué à l'explosif, aves son éposuse, dans un garage sous-terrain, des personnalités uruguayennes, politiques, celles-là, avaient été revolvérisées etc...
Massera nourrissait de vraies ambitions politiciennes. Et même, dans la limite de ses moyens intellectuels, nourrissait un vaste dessein dont il était le centre. Le seul à concevoir un APRES, civil et miliaire au régime, avec des élections en liberté conditionnelle. Ce bel homme dans son bel uniforme blanc s'imaginait volontiers en nouveau général Peron acclamé par des foules ouvrières grâce aux relations qu'il avait tissées dans l'appariel pourri de la CGT péroniste. Avec son contrôle complet sur un corps particulièrement discipliné, il avait fait de son ESMA, "escuela de mecànica de la marina" un centre d'inquisition remarquable. Ce vaste monument transformé aujourd'hui en musée, au bord du Rio, dans une zone réservée aux restaurants, au loisirs et au gran stade Monumental qui accueillerait en 78 le "Mundial" (dont la Junte avait hérité opportunément l'organisation). Avec les soutiers de la marine à la manoeuvre, des jeunes officiers zélés (voir Astiz et nos religieuses) à l'infiltration et des capitaines en gants blancs, ayant un vrai esprit de corps pour couvrir cris, chuchotements, trafics de bébés et "ploufs" de torturés lancés depuis les hélicoptères dans les eaux boueuses de l'estuaire, tout prospéra à merveille.
Après la victoire sportive ambigüe du Monumental, Massera commença à sérieusement penser à son immense avenir. Nombre de ceux qui avaient échappé à "la solution finale"s'étant réfugiés en France, le bel amiral de 53 ans projeta l'ouverture d'une antenne de "sa marine" à Paris, indépendante de l'Ambassade, en principe chargée de tenir le survivants de la répression, et leurs protecteurs français ,à l'oeil. Mais progressivement l'antenne, riche en moyens propres prélevées sur les trésors de guerre des gauchistes et des syndicalistes torturés et assassinés, se transforma en ambassade privée de Massera en Europe occidentale. L'exemple miltaire brésilien, (création d'un parti supposé "d'opposition de sa Majesté", et d'un parti officiel" chargés de donner un vernis démocratique à la dictature, prospéra au point qu'à la fin des années 70 il avait jeté les bases d'une organisation PDS, et que des jeunes gens pleins de charme social-démocrate travaillé en formation accélérée, venaient démarcher les hommes politiques réputés de gauche).
En 1981 ils avaient osé entrer en relation avec un jeune énarque élyséen qui, séduit, mais encore prudent,
me les avait amenés à Matignon pour "tuilage de conformité". L'un et les autres n'avaient pas été déçus par l'entrevue...Le premier parce qu'il avait compris la manoeuvre dont il était victime
(en Europe il était en bonne compagnie, hélas), les seconds parce qu'ils avaient abandonné, à temps, c'est le cas de le dire, un navire qui sera bientôt en perdition malouine.
Quant à moi je venais alors d'être informé, de l'asssassinat, par les hommes que l'on devine, d'une Conseillère de l'Ambassade argentine à Paris, avec laquelle j'échangeais discrètement des
informations. Elle avait découvert le pot aux roses qui masquait la réalité politique et personnaliste, sous couvert de surveillance militaire, d'une diplomatie massériste parallèle. Elle était
allée le dire à son petit cousin par alliance, le général-Président Videla. Une réception diplomatique Casa Rosadaa battait son plein et la jeune conseillère commença à dévoiler la chose à son
parent à l'abri d'un buffet. "Attends, avait coupé Videla. Ne continue pas ici, cela peut être entendu. Demain à mon domicile, neuf heures".
Elle ne put jamais venir au rendez-vous. Quelqu'un avait entendu.
Antoine Blanca
NB : les "présidents" de juntes de gouvernement furent, après Videla, Galtieri (liquidé par le désastre des
Malouines) et Biglione, qui transmit les insignes présidentiels à Alfonsin le 10 décembre, journée internatinale des droits de l'homme). Tous les membres des Juntes successives furent
traduits immédiatement en justice au cours d'un procès exemplaire qui devait durer huit mois. Conseil: lecture du réquisitoire du procureur Strassera, et de l'ouvrage-document d'Ernesto Sàbato,
NUNCA MAS. "Jamais plus", ce ne fut le cas pour personne. Surtout pour le Président élu qui continua d'être persécuté par ceux qui ne voulaient pas s'en tenir à l'exemplarité du procès, par les
Etats-Unis qui détestaient son esprit indépendant, et par le FMI qui se refusa à toute concesssion alors même qu'ils avaient encouragé le pillage du pays par les militaires, les affairistes et
les éleveurs de salon de la toute puissante Sociedad Rural. Le peuple, tous les hommes politiques du pays et du monde reconnurent massivement les qualités exceptionnelles de Raùl Alfonsin à
l'occasion de son décès il y a un an.